Chroniques du Voyageur

1 - Arrivée aux Portes Noires
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Mon esprit était confus, des milliers d'images et de couleurs formaient un kaléidoscope infernal dans mon crâne, accompagnées d'un mélange sourd et incompréhensible de bruits, de paroles et de musique, comme si tous mes souvenirs s'étaient mélangés pour former une fresque délirante, comme une transe. Petit à petit la conscience m'était revenue, je m'étais réveillé étendu là, au pied des Portes Noires, masse granitique sombre et sinistre au milieu de la plaine, seul. Ma tête était lourde, et la peau de mon visage froissée par l'herbe collée à ma joue, tout mon corps ankylosé me faisait souffrir à chacun de mes gestes, comme lorsqu'un membre que le sang a quitté reprend vie, une douleur atroce, complète, intenable, j'avais presque perdu à nouveau connaissance. Finalement elle m'avait définitivement éveillée, et je m'étais alors tenu debout face à cette étrange sculpture noire plantée là, au beau milieu de nulle part.

C'étaient des portes, une simple double porte de bois, cerclée de métal par endroit, mais tenues debout par une grande construction taillée dans un roc. C'était du granit, ou bien du marbre, disons de la pierre. Après un examen minutieux, j'avais remarqué qu'une fine lumière filtrait entre les deux portes, un rai rougeâtre dansait à travers la fente. Mais quand je voulu poser ma main sur une des deux portes, une intense chaleur monta du sol, puis ce fut la porte toute entière qui gronda, et l'herbe alentour se consuma instantanément. Ne restait alors plus que de la terre, sèche et brulée, aride et déserte. Et moi, tremblant d'effroi. Dans un dernier élan de courage j'avais tourné les talons, dans la direction où les Portes regardaient, là d'où venait une fumée qui s'élevait sur l'horizon. Je me rappelle avoir marché sur une centaine de mètres, puis je m'étais retourné. Les Portes étaient toujours là, et l'herbe verte aussi, et je ne su jamais de cette vision paradisiaque ou de l'infernale qui m'avait prise lors du contact, j'avais rêvé. En revanche, je compris alors que ce monde allait me poser bien des soucis, moi le rationnel.

2 - Voyage à travers les terres
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La route avait été bien plus longue que tout ce que ma vision m'avait fait espérer. J'avais vu la fumée sur l'horizon, mais jamais je n'aurais pu penser qu'elle venait de par delà des montagnes, invisibles même depuis la plaine des Portes. Le premier jour, j'avais marché avec conviction, traversé quelques bois, passé nombre de plaines et de clairières, rencontré une faune tantôt paisible, tantôt fuyante, jamais nuisible. Le deuxième jour, le voyage m'avait paru plus rude, plus long, plus solitaire encore, la végétation verdoyante était toujours bien présente, mais les plaines avait laissé place à de petites collines, et j'avais du franchir de nombreux ruisseaux. Le troisième jour avait été consacré à trouver un gué pour franchir un torrent, et là encore la fatigue plombait chacun de mes gestes, et un poids toujours plus lourd semblait ralentir mes membres. Le quatrième jour, l'herbe et les arbres de plaines avaient laissé place à un sol rocailleux, dans la terre grise et le gravier poussaient quelques fleurs, et de l'herbe rude et timide, les sapins avaient remplacé les forêts de chênes, et l'air humide et frais, était devenu sec et sifflait dans mes oreilles. Puis j'avais compris que depuis les Portes je n'avais pas mangé, et pourtant, je n'avais pas faim.

Je m'étais assis sur une roche, le regard dans le vide. Puis j'avais remarqué que de mon chemin je voyais la plaine, et que dans la plaine trônaient les Porte. Durant quatre jours j'avais voyagé, et de là ou j'étais, toujours les Portes étaient visibles, quatre jours de marche plus loin. De l'autre coté, la pente de mon itinéraire à venir avait beau cacher ma destination, la fumée était bien là, comme si tout ce que je voyais n'était là que pour m'indiquer leurs positions. Assis sur mon caillou, mon regard s'était posé partout, et bien que le paysage me parut réel, cette impression d'être guidé ne me quitta plus. Une dernière chose m'avait frappé. La fatigue qui me pesait chaque jour un peu plus, s'était envolée du moment où mon corps eut conscience de ne pas souffrir de l'effort. J'avais marché longtemps, sans manger, sans répit sinon le repos de mes nuits, et j'étais là, frais et guerrier, l'esprit vif et et le corps fort. Je m'étais alors senti renaître, et les derniers jours de voyage me firent parvenir au sommet de cette montagne, d'où j'eus alors un point de vue formidable sur le monde où j'avais atterri. Ma destination m'était apparu, entre la ville vivante et le campement de fortune, et un immense brasier crachait en son centre, tandis qu'une multitude de foyers étaient allumés dans ses quartiers. De mon sommet, je descendis vers l'origine de la fumée qui, j'en suis aujourd'hui certain, m'avait alors guidée.

3 - De mon passé, ne restait...
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La descente avait été plutôt courte, à peine une journée de marche, mais elle m'avait donnée l'occasion de me rappeler de ma vie, et aussi de ma mort. Cela peut vous paraître étonnant, mais de tous les souvenirs qui me revinrent alors, le dernier fut l'instant de mon triste sort. J'avais eu deux filles, avec une femme ravissante, mais aucun nom ne me revenait. De cette femme, je ne voyais que son visage souriant, et le bonheur qui emplissait nos jeux et nos ébats amoureux. J'entendais des bribes de sa voix, mais jamais je ne fus capable de percevoir exactement ce qu'elle disait. J'avais été contrôleur fiscal, métier ingrat où votre arme est votre moral, et bien qu'ayant la certitude sur ma profession passée, je n'avais aucun souvenir de celle-ci. Comme si tout ce que j'avais pour chaque tome de mon histoire, n'était que des titres, et des résumés...

4 - Je pris pied, le perdis et le repris maintes fois
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Guidé que j'étais par la vision flamboyante de la civilisation installée au pied des montagnes que je venais de traverser, j'étais enfin parvenu à cette cité tant désirée. J'avais alors des milliers de questions à l'esprit, des Qui des Comment, des Pourquoi aussi et un Où royal également. Mon premier pas avait été de demander le nom de cette ville, je l'avais obtenu facilement, Mandosa, la cité commerciale. Emblème marchand de ce Monde, au fil des Temps, Mandosa s'était imposée comme le carrefour des caravanes, de l'or et des denrées.

J'avais alors à l'époque tenté de répondre à mes autres questions, durant plusieurs semaines. En vain. Et puis il était arrivé, me ressemblant étrangement, portant la même inquiétude que j'avais eue à mon arrivée, soulevant les mêmes questions aux gens rencontrés. Nous avions fait connaissance autour de quelques choppes, et autant appris l'un de l'autre, au gré des quelques aventures que nous avons vécu alors.

Ce Monde était bouleversant, dans tous ses aspects. Je n'aurais su vous dire pourquoi, et je ne le puis toujours pas, malgré tous mes efforts. Nos souvenirs étaient identiques lui et moi, incapable de distinguer parfaitement notre passé, mais conscient de savoir ce qui fut, ce qui pouvait être et ce qui ne l'était pas. Nous nous habituâmes pourtant...

5 - Aujourd'hui je suis las
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Las, las de ces lancinants lacets que ma vie fait, lassé des lents et longs détours que ma vie prend, cette vie qui me semble ne jamais finir. J'ai vu tant d'époques, connu tant de gens, vécu tant d'histoires et acquis tant de pouvoir...mais j'ai trouvé un but, si ce n'est plusieurs. Je vais écrire et continuer ce récit, puis quand il sera fini, ou que je jugerais qu'il est assez complet, je le cacherais, ou le ferais partager, tel un rite initiatique pour tous ces perdus qui arrivent ici. Ces ignares ignorés, ignorant ce qu'il y aurait pourtant à connaître en premier, ce savoir que le Monde est incapable de leur offrir.
Et quand assez sauront, que le ciel aura vu tant de nouveaux arrivants, alors je changerais ce monde à jamais, moi, le simple voyageur, le premier.